Les suffragettes, stratèges de l’image

Manifestation à Londres, le 17 juin 1911. Christabel Pankhurst défile à l’avant d’une banderole qui mentionne «690 emprisonnements pour gagner la liberté des femmes». FLICKR/LSE LIBRARY/DP (via Le Courrier)

2018 | Le Courrier

An article for the Swiss newspaper Le Courrier on the memorialisation strategies developed by the British suffragettes and their successful attempts at writing their own history and taking the memorialisation of their struggle into their own hands.

Excerpts

“L’écriture de cette histoire controversée [la lutte pour le suffrage féminin en Grande-Bretagne], qui suscite toujours des débats intenses, n’a pas été laissée aux seuls historiens. En effet, dès 1918, d’anciennes activistes de la WSPU, l’une des organisations les plus médiatisées et radicales dans son militantisme, ont entrepris un très influent travail de commémoration et d’écriture de leur propre histoire.

Leurs actions ont été multiples, et savamment orchestrées. L’édition d’un journal et des célébrations annuelles, en particulier l’anniversaire d’Emmeline Pankhurst, fondatrice de la WSPU, ont entretenu la communauté et la présence des suffragettes dans la mémoire collective. L’érection en 1930 d’une statue d’Emmeline Pankhurst à proximité du Parlement à Westminster a renforcé sa position dominante parmi les leaders de la lutte pour le vote des femmes. Avec la récolte de témoignages et d’objets, les militantes ont constitué une importante collection qui a permis de maintenir des traces tangibles de ces actions. […]

Cette maîtrise de l’image ne s’est pas développée a posteriori, mais a été un élément déterminant de la lutte pour le suffrage féminin. La capacité du mouvement – toutes organisations confondues – à se mettre en scène a été décisive tout au long de la campagne. Les femmes britanniques, alors relativement confinées à l’environnement domestique et à des lieux publics choisis, du moins pour les femmes des classes supérieures, ont dû pour rendre publiques leurs revendications investir l’espace public et construire une image publique légitimant le vote féminin. Cette soigneuse élaboration de l’image est passée aussi bien par d’imposants cortèges dans les rues et l’organisation d’expositions et d’événements de charité, que l’édition de journaux et de pamphlets ou encore de cartes postales destinées à contrecarrer l’image de la suffragette comme harpie, mère et épouse indigne propagée par de nombreux journaux. Une lutte qui est passée par un lobbying politique intense et durable, et des phases de militantisme plus disruptives, a ainsi aussi été une lutte d’image et de représentation, avant comme après l’obtention du suffrage féminin.”

Reading online at Le Courrier (no paywall)