L’iconographie publicitaire horlogère, entre corps héroïques, anthropomorphisme et narration

2019 | Éditions Alphil

Essay for L’heure pour tous, une montre pour chacun. Un siècle de publicité horlogère, the reference publication accompanying the exhibition on advertisement in the watchmaking industry in the 20th century at the MIH Musée international d’horlogerie, La Chaux-de-Fonds, Switzerland

Excerpts

“Le corps de la femme, bien entendu lui aussi largement récurrent dans la publicité horlogère, alterne entre plusieurs stéréotypes. Les élégantes séductrices abondent, évidemment, tout comme les braves épouses dévouées à leur mari (et qui savent bien qu’une montre est le cadeau d’anniversaire dont il rêve secrètement). Certaines campagnes optent cependant pour une représentation féminine plus proche des stéréotypes masculins. Elles mettent alors en avant des qualités usuellement perçues comme masculines : endurance, audace, résistance physique — qualités qui font ici également écho aux qualités de la montre. Plusieurs campagnes mettent ainsi en exergue, au moins dès les années 1920, des sportives célèbres, telles « La Divine » Suzanne Lenglen, première star féminine internationale du tennis (publicité Cyma, 1928), Mercedes Gleitze, l’une des premières nageuses à avoir traversé la Manche (publicité Rolex, 1927), Babe Didrikson Zaharias, athlète et golfeuse américaine (publicité Timex, 1954), parmi d’autres. Les photographies de ces campagnes présentent volontiers ces sportives accomplissant leurs exploits une montre au poignet, rapprochant encore l’objet de l’exploit, lui suggérant même une utilité pour leur réalisation, en dépit du manque évident de praticité.” […]

“Une série de campagnes internationales des années 1950 de Rolex utilise une rhétorique particulière de l’image pour associer ses produits à l’histoire et à ceux qui l’écrivent. Une série d’images photographiques correspondant à tous égards aux codes usuels de la presse (effet encore renforcé par leur présence dans la presse écrite, journaux ou magazines, voire par la présence de journalistes dans l’image elle-même) présentent des situations parfois relativement génériques — une vue depuis une limousine où un homme salue la foule qui se presse autour de la voiture — ou au contraire directes au point d’identifier une personnalité précise. L’identité des hommes de ces photographies est toujours à la fois subtilement à la fois révélée par certains détails (vestimentaires, architecturaux, événementiels) et toujours dissimulée : visages hors cadre, tournant le dos au photographe ou dans certains cas dissimulés par un cartouche blanc comportant le slogan. Le texte renforce le message, suggérant que les circonstances et les personnes sont parfaitement reconnaissables, et si importantes qu’on ne saurait les nommer, sinon par leur fonction sociale (têtes couronnées, chefs d’État, chefs militaires, par exemple). Ces campagnes particulièrement habiles misent sur la capacité du client potentiel à identifier les personnes, ou du moins les circonstances, et une certaine forme de flatterie, en sous-entendant qu’il fait partie des avertis capables de déjouer la prétendue anonymisation… et donc qu’il ne lui manque plus que la montre pour rejoindre, du moins symboliquement, ces cercles privilégiés.” […]

“La publicité horlogère s’inscrit dans une histoire plus large du marketing et met à son profit des méthodes rhétoriques éprouvées de cette branche. Elle mise sur des normes sociales solidement établies, auxquelles elle adhère et qu’elle renforce, et qui jouent sur les insécurités et le souci de se conformer à certaines valeurs. Elle prétend volontiers offrir un raccourci vers l’accession à ces valeurs — il suffirait d’afficher à son poignet une montre de plongeur pour être reconnu par son entourage comme un sportif audacieux ou une nageuse hors norme, une montre de luxe pour rejoindre les cercles des femmes et hommes influents. […] Dans ce cadre, l’image joue ainsi plusieurs rôles. Elle donne à voir, simplement, le modèle auquel aspirer, et duquel se rapprocher par un achat. Elle suggère des qualités au produit vendu, soit par son contexte soit par son association avec d’autres éléments, qu’il s’agisse d’objets, de corps, ou même de situations. Ou encore, en laissant le spectateur compléter le puzzle, comprendre par lui-même l’histoire que la publicité raconte, elle fait preuve d’une flatterie subtile, et susceptible de l’inciter à l’achat.”